C’est lors des navigations au long cours à partir du 15eme siècle, que l’on a pu isoler les symptômes typiques d’une maladie mystérieuse : le scorbut qui frappait les marins de ces expéditions lointaines et qui allait conduire à la découverte des vitamines et particulièrement de la vitamine C ou acide ascorbique.
On sait aujourd’hui que la vitamine C est directement impliquée dans la synthèse des protéines dont le collagène et que le scorbut est principalement une dégénérescence des tissus conjonctifs liée à sa carence.
Nous vous racontons cette histoire passionnante.
La maladie des gens de mer : une carence en vitamine C
Le terme scorbut provient d’un mot islandais du Moyen Age pour désigner ses symptômes.
Il est vraisemblable de penser que les marins vikings qui effectuaient des navigations au long cours bien avant les européens du Sud aient été les premiers frappés.
Jusqu’à la fin du 15ème siècle, en Europe occidentale et Méditerranéenne, (ainsi que dans le reste du monde), la navigation se limite à du cabotage et ainsi à une alimentation des marins identique ou quasi à celle des terriens, avec une part de végétaux frais.
Ce n’est qu’avec les voyages longs, sans escale, initiés par Christophe Colomb que l’on va découvrir ce mal mystérieux qui frappe les équipages.
A cette époque, la conservation d’aliments frais à bord est impossible : après quelques semaines de mer, la nourriture des marins devient exclusivement à base de salaisons et de biscuits.
Les ravages du scorbut sont la problématique n°1 de ces expéditions, avec des statistiques effrayantes :
- Vasco De Gama (1497) qui navigue au-delà du Cap de Bonne Espérance perd 120 marins sur 160 en 11 mois de mer, avec les premières mortalités apparues après 4 mois ;
- Le tour du monde de Magellan (1519) ne verra revenir qu’une vingtaine de marins sur les 265 du départ.
- Le triste record documenté revient cependant à l’Amiral anglais Anson (1740/1744) qui perdra lors de son tour du monde près de 1800 hommes sur les 2000 embarqués.
Avant de succomber dans des souffrances atroces, les marins sont progressivement affectés et deviennent rapidement incapables d’assurer leur service : les équipages affectés sont largement in-opérationnels, ce qui ajoute encore aux dangers de leurs navigations.
Les symptômes du scorbut
Ils se mettent progressivement en place après quelques mois de navigation et d’une alimentation excluant toute forme de végétaux frais : biscuits de mer et salaisons constituent les seuls vivres à bord.
Les premiers symptômes d'une carence extrême en vitamine C sont un affaiblissement général :
- Fatigue croissante
- Perte d’appétit et de poids.
S’en suivent des douleurs articulaires et musculaires, puis des œdèmes et gonflements des membres et une pâleur cadavérique.
Le stade suivant affecte les gencives qui mollissent, saignent et déchaussent les dents, l’haleine du malade devient fétide. La mort survient à la suite d’hémorragies internes.
L’ensemble du processus peut s’étaler sur plusieurs semaines.
Les équipages affectés sont évidemment largement "hors service". La suprématie anglaise sur les océans à la fin du 18 et au début du 19ème siècle (bataille de Trafalgar etc.), s’explique en grande partie par la meilleure santé des équipages britanniques qui bénéficiaient de rations de citron, bien avant ceux des autres nations.
Les évolutions du scorbut : Aquarelle de Henry H Mahon (1841) (National Archives UK).
La solution empirique grâce aux agrumes
L’explorateur français Jacques Cartier, avait remarqué en remontant le Saint Laurent en 1535 que l’équipage soufrant du scorbut avait été guéri par la boisson d’infusions de plantes apportées par les Indiens du rivage.
Dans ses premières phases, les lésions du scorbut sont en effet réversibles avec un apport de vitamine C.
C’est le médecin de marine anglais James Lind, au milieu du 18ème siècle qui mettra en évidence le rôle des agrumes pour la prévention de l’apparition du scorbut, et la guérison des symptômes, après avoir testé plusieurs autres solutions alimentaires et concluait : « J’observais que le résultat de toutes mes expériences était que les oranges et les citrons étaient les remèdes les plus efficaces pour cette maladie en mer ».
Le délicat problème de la conservation à bord fut réglé quelques années plus tard : à la fin du 18ème siècle, la ration quotidienne des marins anglais comportait une boisson de jus de citron additionnée d’alcool.
Cet avantage était tel qu’il fut classé « secret défense » pendant plus d’un demi-siècle : il permit aux Anglais de maintenir plus de 100 000 hommes d’équipages en mer, en bonne condition physique et explique largement la domination et les succès de la marine anglaise (Aboukir, Trafalgar) contre des équipages plus réduits en nombre et vigueur !
Il faudra attendre 1850 (!) pour que la marine Française généralise les rations de jus de citron.
La découverte des vitamines B et C
On a progressivement compris que des quantités infimes d’éléments inconnus présents dans certains aliments frais avaient des rôles clés dans la physiologie et que l’organisme ne fonctionnait pas ou moins bien en leur présence.
En 1887, un médecin hollandais (le Dr Eijkman) remarque, en Indonésie, des signes pathologiques nerveux et cardiaques (le ‘béribéri’) affectant des poulets alimentés avec du riz blanc (sans l’écorce ou tégument) alors que les poulets nourris au riz complet n’ont pas ces problèmes.
Il y a, dans le son du riz, une substance qui protège ces animaux de troubles nerveux et cardiaques.
C’est le japonais Suzuki qui identifie la substance responsable de la prévention du béribéri (et ainsi appelée acide abérique, puis Thiamine), et le polonais Funk qui l’isole en 1911 et crée le terme générique de Vitamine résultant de la contraction de « vital » et « amine » qui correspond à la structure moléculaire de la thiamine.
Funk et Eijkman obtiendront le Prix Nobel de Médecine 1929 pour la découverte de la vitamine B1.
L’identification de la vitamine C pour soigner le scorbut
Au début du 20ème deux médecins norvégiens avaient déjà remis en évidence le rôle de fruits et légumes frais pour la prévention du scorbut, mais c’est le hongrois Albert Szent-Györgyi qui va isoler l’acide ascorbique (‘empêchant le scorbut’).
Il réussira à l’extraire à partir du paprika et mettra en évidence son rôle antioxydant dans l’organisme et anti-scorbutique. Il obtiendra le Prix Nobel de médecine en 1937.
Les travaux de Szent György permettront des avancées fondamentales dans la compréhension des mécanismes biologiques de production de l’énergie qui seront finalisé dans les années 1950 par Sir Krebs, par la conceptualisation du cycle énergétique qui porte son nom.
Szent György continuera ses recherches, notamment à travers la National Fundation for Cancer Research qu’il a créé et qui sera à l’origine de nombreux travaux sur l’importance des antioxydants dans la prévention du cancer dans les années 1970.
Une nouvelle ère : la commercialisation de la vitamine C
A partir de 1934, les laboratoires Hoffmann-La Roche produisent et commercialisent la vitamine C sous le nom de Redoxon, ouvrant une nouvelle ère dans l’histoire de l’alimentation mondiale : la nutraceutique était née.
Mais c’est une autre histoire…